" Peggy, ton prénom te va tellement bien, même mon père parle de toi à table. " On te parle. Forcément, maintenant, t’es quelqu’un de connue, même cette fille le dit, tout le monde parle de toi. Tu te redresses un peu, tu regardes cette blondasse, tu souris.  ohlala bonsoir …  le nom sort pas de ta bouche, tu restes quelques secondes muette, la bouche en cul de poule, comme on dit. Y’a que tes cils qui bougent, tes longs cils noirs qui papillonnent, ce que t’es conne. Tu l’connais pas, son nom, à cette fille. Ou alors tu l’as oublié. T’oublies tellement de choses que ce serait possible. Tu passes la langue sur tes lèvres, c’est ce que tu fais quand tu réfléchis brièvement. Mais t’arrêtes tout de suite, faudrait pas qu’elle le sente, que t’essayes de réfléchir, là. ça faisait longteeeemps ! tu lances, avec une voix un peu trop aigüe et surexcitée qui casse les oreilles de tout le monde, avant de rire aux éclats, tu pries pour que ça passe, qu’elle ne se doute de rien. Toi, t’es persuadée de la connaître. Elle, elle semble te connaître, alors dans ta tête, c’est logique, tu la connais, mais tu l’as oubliée, c’est tout. De toute façon, tu te sens obligée de faire semblant, c’est l’une des premières règles, dans ta tête, de faire semblant de connaître tout le monde, pour avoir l’air cool. tes cheveux sont magnifiques ma chérie, j’adore ce blond, il va tellement bien avec tes yeux … bleus ?  t’es même pas sûre de la couleur de ses yeux, faut dire, ils tirent sur le bleu, le gris, le vert…. Non, décidément, même définir la couleur des yeux d’une personne, c’est trop compliqué pour toi. Tu souris, tu t’élances vers la blonde, qui est sans doute une amie, ton amie. Tu lui fais claquer deux bises sur ses joues, bruyamment. ohlala ce que je suis contente de te revoir !  tu secoues ta main droite de haut en bas, t’as vu d’autres filles le faire, alors tu le refais. En plus, comme ça, la blonde peut admirer ton vernis à ongles Chanel qui t’as coûté cher, quand même.  Comment va ton père ?  C’est sans doute un ami à toi, son père, s’il parle de toi. Tu ne sais pas, tu présumes.  Ohlalaaa, en parlant de repas, il faut AB-SO-LU-MENT que je te raconte ce qui m’est arrivé hier soir ! Tu t’approches un peu, sous le ton de la confidence. Alors j’étais à un repas de famille avec mon cousin, et le frère de mon cousiiiin, et l’ami de mon cousin. tu parles à voix basse, mais un peu fort quand même, pour être sûre que les gens autour de vous écoutent ce que tu veux dire à cette fille.  et l’ami de mon cousin, ohlala, si tu l’avais vu, un beau garçon, très, très sexy, il arrêtait pas de me regarder, je crois qu’il a eu un coup de foudre, tu vois ?  tu jettes tes cheveux en arrière, dévoilant ainsi tout ton sex-appeal à cette blonde. Enfin, ton sex-appeal. Dans ta tête, en tout cas, cette fille est émerveillée par ta beauté naturelle, presque aveuglée.  alors, j’ai voulu lui faire comprendre qu’il me plaisait aussi, tu vois… tu laisses le suspense, tu sirotes un verre, d’ailleurs, t’avais pas commandé de verre, tu sais pas à qui il est, ce verre, mais tu le sirotes quand même, c’est pour maintenir le suspense, très, très important, dans ta tête. j’ai fait tomber ma fourchette par terre, alors, j’ai dû passer sous la table, pour la " récupérer " t’insistes lourdement sur les guillemets pour le mot " récupérer " en faisant des gestes ridicules avec tes doigts. On ne sait jamais, des fois que cette blonde soit aussi stupide que toi, hein…  alors, j’arrive vers l’ami de mon cousin, à quatre pattes, sous cette table, et là, je commence à toucher son entrejambe lentement, tu vois, pour lui faire comprendre, tu comprends ?  tu préfères demander, pour être sûre. Tu reposes le verre.  Et là, la nappe se soulève, et, ô seigneur, tu devineras jamais ! Tu fais une pause. T’en as besoin, tu te souviens à peine de ce que tu voulais raconter, au début. En plus, t’as la bouche pâteuse, à trop parler comme ça, alors tu bois un peu plus. Tu lèves les sourcils, tu regardes la blonde, qui ne semble pas deviner, justement. En vrai, y’a des chances pour qu’elle ne t’écoute pas, mais dans ta tête, elle attend désespérément que tu livres le fin mot de l’histoire.  Et bien, la nappe se soulève, comme je te disais.  tu reprends l’histoire. Tu passes ta langue sur tes lèvres, tu ne sais pas comment elle se termine, ton histoire, puisqu’elle est fausse, ton histoire.   et là, je vois mon cousin qui me regarde, seigneur, mon cousin enfin ! comme si j’allais faire une gâterie à mon cousin, tu comprends, c’est presque aussi dégueulasse que les lesbiennes ça, les gens qui couchent avec des gens de leur famille, l’an… l’insexe ? Enfin tu vois, ça, quoi. tu soupires, t’as trop réfléchis, ça t’donnes mal au crâne, à force. La blonde dont t’ignores le nom te regarde, elle se marre. " t’as failli tailler une pipe à ton cousin ?" elle questionne, quand même. T’es rassurée, elle a écouté ce que tu disais.  seigneur ce que c’était embarrassant !  tu lèves les yeux au ciel, ta main sur ta poitrine, heureuse d’avoir l’occasion d’en rajouter une couche, avant de rire.  mais finalement ça s’est arrangé parce que j’ai passé le reste de la soirée avec son ami, tu vois.  c’est pas vrai, d’ailleurs, y’a jamais eu de repas avec ton cousin, le frère de ton cousin et l’ami de ton cousin. Mais t’es quand même fière de toi, parce que tu te dis que ça va sans doute se répéter, cette histoire, et puis, toi, tu penses que c’est préférable qu’on cause sur toi plutôt que de passer inaperçue. Tu regardes une nouvelle fois autour de toi, tu vois qu’un groupe de filles est arrivé, elles, tu connais leurs noms, alors, dans ta tête, c’est qu’elles doivent être plus importantes que cette blonde qui te cause.  ohlala je te laisse ma chérie c’était un plaisir de te revoir, vraiment, mais là y’a mon ex qui vient d’arriver et tu vois il est hypeeer collant je peux pas rester dans la même pièce que lui tu comprends ça lui fait du mal, je sais qu’il pense à moi sans arrêt, et puis, quand on y pense, c’est normal, je suis tellement jolie que toutes les autres sont fades et inintéressantes à côté de moi, mais, est-ce que c’est de ma faute s’il ne peut pas retrouver une fille aussi parfaite que moi ? Oh seigneur non ! Je ne peux pas supporter ses crises de larmes tu comprends, ça me fait grimacer les gens qui pleurent, et après, j’ai des minuscules rides qui se font, c’est vraiment laid si tu savais, et – oh je te laisse !  tu viens de voir le groupe bouger, tu rattrapes ton sac à la volée pour partir à leur rencontre. Enfin, leur courir après. Sauf qu’avec ces talons que t’as enfilé, c’est pas facile, alors tu marches bizarrement, en essayant d’aller vite, ça t’donne un air constipé, quoi que c’est peut-être la grimace que tu tires qui te donne cet air-là, on sait pas trop.  Victoria ! Amanda ! Attendez-moi, j’ai quelque chose à vous raconter, vous allez rire !