"je t'aime aj"
Mon sourire se crispe, mes dents se serrent et je déglutis difficilement. ça fait longtemps, trop longtemps que je n'ai pas entendu cette phrase pour que je puisse savoir si il est sincère ou pas. Mais oui, il l'est. C'est papa, merde, il se souvient de moi même dans son état. J'ai envie de pleurer, d'un coup ; mais pas de gratitude, non, ça serait trop simple, trop logique. J'ai envie d'hurler, de tout faire valser, de lui crier à la gueule que l'amour, c'est pas pour nous, on ressemble déjà trop à une famille pour notre bien.C'est pas bon, pour le contrôle de mes émotions. Tu vois pas papa, qu'il faut que t'arrêtes de dire ça ? Tu vas mourir, déjà, bientôt, je veux pas que tu m’emmènes avec toi. J'ai d'autres "je t'aime" qui m'attendent, même s'ils seront faux, même s'ils seront pas aussi importants que les tiens.
"je t'aime", c'était un murmure rauque échappé malencontreusement de la bouche d'un amant, et dont malgré la dose d'alcool que j'avais ingurgitée pour supporter les coups de buttoir destiné uniquement à le soulager lui, je m'accrochais bêtement. Mais AJ, on l'aime pas. AJ, on aime son faux nez, on aime ses seins naturellement gonflée, on aime quand elle ferme sa gueule et qu'elle se contente de faire ce qu'on veut. Les gens qui ont déjà réellement tenus à moi se comptent sur les doigts de la main. Ceux qui m'ont aimés, je préfère pas en parler.
"je t'aime", c'était soufflé dans mes cheveux lorsque Mirleen me mettait au lit après une désastreuse soirée adolescente désenchantée, après une rencontre avec un prince charmant quelconque qui s'est transformé en crapaud dès le premier vêtement retiré. C'était un son désespéré, inespéré, de la part d'une femme que j'avais brusquement rejetée quelques heures plus tard alors qu'elle tentait vainement de m'empêcher d'aller à ces stupides soirées. C'était comme une confession, après que j'aie envoyé la porte claquer dans le mur en hurlant qu'elle était pas ma mère. Et bordel, "je t'aime", c'est pas ma mère qui me l'aurait dit, jamais. Ce serait plus simple et plus compliqué en même temps, si Mirleen était ma mère. Une gosse de riche avec des parents aimants, c'est du jamais vu, encore. Ma mère, je la vois quand elle doit me montrer, jouer aux mère de familles heureuses et modèles, et elle me sert ses "Jekaterina" à toutes les sauces. ça me donne envie de gerber. Mais je serre les dents, et je souris. Des fois, c'est plus facile à supporter que les "je t'aime" de papa alors qu'il est ravagé par la drogue et que ça me fait mal de me rendre compte à quel point il est seul, et à quel point je vais être seule sans lui.
"je t'aime aj", c'est la phrase qui me hante, jour et nuit. Parce qu'au fond, c'est ce que je suis, si on m'enlève mon nom. Une gosse qu'a grandi trop vite, mal-aimée et terrifiée.